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Les rubriques Avertissement et Nouveautés, bien sûr, ont été mises à jour, le

Blog s'est enrichi d'une nouvelle page et apparaît la rubrique "Mémoires d'un nomade" qui comme son titre l'indique, a la prétention d'être le récir d'une histoire, la mienne !

Né pour changer d’horizon !

Mémoires d’un nomade

 

Depuis le temps que Michelle mon épouse m’implore de m’y mettre et parfois aussi Corinne, ma fille, la survenue d’un accident de santé suffisamment sérieux - et le cancer en est un - m’a définitivement convaincu qu’il fallait effectivement raconter, par l’écrit, ce que fut ma vie dont je dois reconnaître qu’elle n’est pas tout à fait ni simple, ni banale et difficile à résumer en quelques phrases.

 

Et, surtout, elle a démarré sur un mode qui allait préfigurer ce qui caractérise peut-être le plus mon existence : le nomadisme !!!

 

Qu’on en juge par ce “digest” : né par accident (la guerre) en France, plus précisément en Bretagne, puis exilé au Maroc après un passage par les Ardennes, revenu en France où j’ai résidé en Bretagne, puis en Normandie, en Pays de Loire, puis de nouveau un temps en Normandie avant de filer sur Paris et de revenir en Normandie avant de plier définitivement bagage pour… l’Espagne.

 

Le fait d’être né dans une famille ou le nomadisme était de rigueur (père et grand-père maternel militaires de carrière…) n’est sans doute pas étranger à cette indifférence relative au lieu de vie à partir du moment où il est synonyme de choix personnel et professionnel et ne perturbe pas outre mesure la vie familiale.

 

Et le dernier choix, celui de l’Espagne est dans la même veine : nous l’avons fait d’un commun accord avec mon épouse, après consultation de nos enfants qui depuis en ont fait leur lieu privilégié de vacances. Il s’est agi en fait pour moi de me rapprocher des conditions climatiques qui avaient présidé à mon enfance et à mon adolescence au Maroc, où, c’est vrai, j’ai failli aller m’installer à la retraite. Mais des raisons culturelles, sécuritaires et de pratique de la langue m’ont fait reculer ainsi d’ailleurs que les appréhensions bien compréhensibles de Michelle pour qui l’aventure a paru un brin délicate et risquée. Ce que j’ai fort bien compris et accepté.

 

Et pour moi, la connaissance et la pratique de la langue ont pesé dans la balance autant que l’attrait de la culture hispanique et surtout de la Méditerranée !!!

 

Mais revenons aux origines de l’histoire, la mienne.

 

1940 : l’année où je suis né a été, faut-il le rappeler, celle de beaucoup d’événements qui auront marqué la grande Histoire.

Je me permets d’en rappeler ici quelques-uns : 

  • Le Général de Gaulle rejette l’armistice et s’oppose à la collaboration du Maréchal Pétain avant de lancer depuis Londres, sur les ondes de la BBC son fameux appel du 18 juin ;
  • En France, le 9 juin les Allemands atteignent Rouen et le 14 juin les troupes allemandes défilent sur l’avenue des Champs Elysées ;
  • Le 22 juin est signé l’armistice franco-allemand à Rethondes ;
  • Les cartes d’alimentation sont mises en place ;
  • Mussolini déclare la guerre à la France et à la Grande-Bretagne où le roi Georges VI nomme Churchill en remplacement de Chamberlain ;
  • Le 19 septembre, Hitler envahit l’URSS ;
  • Le 27 novembre, la Flotte française se saborde à Toulon.

 

Et je naissais le 9 septembre, dans une ferme du Morbihan, au village de Breuzen sur la commune de Ploemeur, où ma mère s’était réfugiée, chez sa tante, sœur de sa mère.

 

Mes parents se sont connus à Oujda, au Maroc … sur un court de tennis… celui des installations sportives du régiment où mon père avait été affecté en mai 1937, le 3ème Régiment de Tirailleurs Sénégalais, chargé de l’instruction des nouvelles recrues. Il était sous les ordres d’un sous-officier, breton du Morbihan, mon père étant originaire du Finistère, qui l’appréciait doublement : pour ses qualités professionnelles et pour ses origines bretonnes… et donc il autorisa sa toute jeune fille à jouer au tennis avec ce jeune sous-officier promis à un bel avenir. Et ce qui devait arriver arriva… Ils se sont plus et ont décidé de fonder une famille avec la bénédiction de l’autorité militaire.

Mes parents se sont mariés le 18 avril 1939 à Oujda. Ma mère n’avait pas 19 ans, mon père venait de fêter ses 27 ans et ils étaient totalement ignorants de ce que le sort allait bientôt leur réserver.

A l’été 1939, mon père ayant effectué le temps réglementaire prévu à chaque affectation, environ 2 ans, se voyait affecté au 41ème RMIC (Régiment de Mitrailleurs d’Infanterie Coloniale) basé à Sarralbe, en Sarre (territoire alors placé sous administration française sous contrôle de la Société des Nations, depuis le Traité de Versailles). Avant même qu’il ait eu le temps de rejoindre sa nouvelle unité, celle-ci était dissoute pour cause de mobilisation générale et intégrée au 51ème RMIC 1[1].

 



 

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(1) Le 51ème Régiment Mitrailleurs d’Infanterie Coloniale, créé à la déclaration de guerre, regroupait divers éléments d’autres régiments de l’armée de terre, mais dont la particularité principale était d’être issus d’unités formées aux combats extérieurs, et notamment ceux que l’on appelait les “marsouins” dont était issu mon père.

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Mes parents quittaient donc le Maroc le 25 juillet 1939 pour rejoindre Oran et le bateau qui allait les conduire à Marseille d’où ils se rendaient en Bretagne puis à Paris et dans les Ardennes, combinant voyage de noces et visites familiales durant la longue permission accordée pour changement d’affectation.

     Ma grand-mère paternelle avait vendu son café « A la Grappe de Raisin », sis rue de Siam à Brest peu après le mariage de sa fille aînée Marie avec René Mével, cheminot qui avait été affecté au dépôt de Charleville-Mézières, l’un des plus importants de l’Est de la France. Et Mémé Poule, comme l’ont surnommé plus tard ses petits-enfants (parce qu’elle les appelait elle-même « mes petites poules ») est venue s’installer auprès de sa fille, ouvrant un nouveau café proche du dépôt des chemins de fer.

     Et c’est alors que mes parents étaient chez elle que le 2 septembre 1939, mon père intégrait son nouveau régiment, la veille de la déclaration de guerre.

Et c’est au cours de violents combats dans les Vosges, qu’il fut fait prisonnier à La Salle le 22 juin 1940.

 

 

Ma mère enceinte, à la suite d’une heureuse permission du début 1940, résolut, devant l’avance des troupes allemandes, d’aller se réfugier en Bretagne, dans le Morbihan, chez sa tante, sœur de sa mère, elle-même veuve de guerre de 14-18, qui tenait une ferme avec l’aide de son fils aîné, vieux célibataire.

 

     Lui, qui en l’absence d’autre représentant masculin de la famille (il avait été réformé et avait donc échappé à la mobilisation) fut mon parrain “obligé” ce qu’il monnaya en exigeant que le prénom qui m’était destiné, Yves, fut remplacé par Alain. [2]

 


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     (2) D’où, beaucoup plus tard, vers 1967-1968, quand je dus trouver le moyen de distinguer les initiales de ma signature de journaliste, je fis le choix d’accoler le Y au A, initiale de mon prénom, un confrère plus ancien - et susceptible - utilisant déjà les initiales AP… dans un quotidien local concurrent. Je devins donc ainsi AYP et on prit l’habitude de m’appeler “Alain-Yves”, ce qui me convient parfaitement… On a les coquetteries qu’on peut !!!

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La France du nord au sud…

 Avant de traverser la Méditerranée

 

Pour en revenir à l’époque de ma naissance, entre temps ma grand-mère, face à l’avancée des Allemands, avait vendu le café qu’elle exploitait à Charleville, près du dépôt des chemins de fer, pour revenir s’installer à Saint Pol de Léon, où elle avait déjà vécu avec son mari, mon grand-père, de son mariage jusqu’après le décès de celui-ci... Ledit grand-père, peintre vitrier de son état avait été rappelé, malgré ses charges de famille - il avait deux enfants - pour combattre en 1914 et devait succomber à ses blessures, le jour même de ses 38 ans, le 20 mai 1916 à Dugny, dans la Meuse.

 

Quant à nous, ma mère et moi, nous restâmes quelques mois chez la tante de Breuzen, jusqu’au moment où une brigade allemande s’étant installée dans le village, les ennuis ont commencé à s’annoncer pour ma mère. Il faut dire qu’un jour où elle venait de finir la traite des vaches et revenait à la ferme avec un seau de lait, un sous-officier allemand lui ayant réclamé le lait pour ses soldats, elle a posé le seau à terre et a donné un coup de pied pour le renverser, déclarant au militaire : “ les allemands ne boiront jamais le lait de nos vaches”.

Celui-ci se contenta alors de rappeler à ma mère que sa conduite n’était pas bonne pour le sort futur de son mari prisonnier… et encore, il ne savait pas que mon père était militaire de carrière…

La tante, sentant le danger proche, recommanda alors à ma mère de se rendre à St Pol de Léon auprès de sa belle-mère en attendant des jours meilleurs.

Et, à la fin de l’hiver de 1941-1942, pressentant qu’elle n’avait aucun intérêt à rester en France, - ce que son père lui avait d’ailleurs écrit depuis le Maroc où, démobilisé comme tous les militaires français, il avait quitté Oujda pour Rabat où il avait intégré le Service du Ministère de l’Agriculture dénommé Paysannat dans ce territoire sous protectorat, - elle se résolut à demander de l’aide pour rejoindre ses parents.

A partir de là allait s'échafauder un plan pour rejoindre la zone libre et surtout le port de Marseille où un bateau assurant la liaison avec Casablanca pourrait nous rapatrier auprès de mes grands-parents maternels.

Le plan consistait bien entendu à prendre le train, mais sous la protection du réseau des cheminots résistants dont faisait partie mon oncle René Mével, mari de la sœur aînée de mon père, affecté au dépôt de Charleville et qui était mécanicien à bord d’un de ces monstres d’acier crachant force fumée et escarbilles qui entraînait d’imposants convois de marchandises, du type de celui que conduit Jean Gabin dans le film “La bête humaine”.

 

Tonton René, c’est ainsi que je l’appelais, s’est mis en peine de mobiliser toute une chaîne de camarades cheminots-résistants pour nous prendre en charge, ma mère et moi, à Charleville puis à Paris, pour nous conduire jusqu'à Marseille et passer la ligne de démarcation sans encombre. Je connais deux faits qui ont marqué ce voyage, tels que me les a discrètement évoqués ma mère : elle avait accepté de glisser dans ces bagages des courriers de membres de réseaux adressés à leurs familles réfugiées en zone libre et notre passage en zone libre, qui se faisait lors d’un arrêt - théâtre d’une fouille en règle du train et de la vérification soupçonneuse des documents d’identité de tous les passagers, comme de leurs bagages - notre passage  s’est donc fait dans des conditions relativement rocambolesques pour échapper à tous les contrôles. Elle ne m’en a pas dit plus, mais je crois que nous avons pour cela séjourné plusieurs heures dans une partie du train dans laquelle les soldats allemands n’auraient pas eu l’idée d’exercer leur pointilleux contrôle.

 

         Nous arrivâmes à Marseille sans plus d’encombre, mais c’est là que ma mère a cru un instant que son voyage n’irait pas plus loin.

         En effet, lorsqu’elle s’est présentée aux bureaux de la compagnie maritime pour retirer ses billets, l’employé qui l’a reçue lui a déclaré qu’il n’avait pas de billets pour elle, n’ayant pas enregistré de paiement correspondant, alors que le grand-père avait envoyé un mandat quelques jours plus tôt par payer lesdits billets.

          Il a donc fallu que le grand-père renvoie un nouveau mandat, télégraphique celui-là car le temps pressait, le bateau pour Casablanca était à quelques heures d’appareiller, pour nous permettre d’embarquer.

         Un employé de la compagnie s’était emparé du montant du premier mandat, sans autre forme de délicatesse, laissant désemparée une jeune mère de 21 ans voyageant seule dans les conditions que l’on imagine avec son bébé de 18 mois.

          Finalement, nous débarquâmes à Casablanca où le grand-père nous attendait pour nous raccompagner à Rabat, dans la maison du quartier de l’Agdal, au 66, rue de Dijon, où résidaient surtout des familles françaises de militaires démobilisés et de fonctionnaires des administrations coloniales. Et c’est là que nous avons vécu le reste de la guerre, jusqu’au retour de captivité de mon père… libéré du Stalag 369 de Kobjercyn (Pologne) le 11 avril 1945 par « l’avancée de l’Armée Américaine (c’est la mention officielle sur la « fiche de constatations » établie à son retour à la caserne de son régiment d’origine à Oujda, le 13 mai). Et il devait arriver à Rabat quelques jours plus tard….

   

         Je vais peut-être ici évoquer une particularité importante de ma vie parce qu’elle se situe entre ma naissance et mes cinq ans, et qu’elle pourrait sans doute éclairer un psychanalyste sur l’homme que je suis devenu, mais je n’ai jamais ressenti le besoin d’entrer en analyse… ce n’était pas un usage de ma génération. 

         Ladite-particularité est que j’ai été élevé et n’ai été entouré que par des femmes : ma mère bien sûr, mais aussi un peu ma grand-tante maternelle, ma grand-mère paternelle et surtout ma grand-mère maternelle à Rabat (3)

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     (3) Car mon grand-père, quelques mois seulement après notre arrivée, réussissait à entrer en contact avec les premiers officiers généraux qui organisaient une armée d’Afrique et un matin du printemps 1942, il partait rejoindre cette partie de l’Afrique, l’AEF, qu’il avait arpenté dès 1922, engagé dans les troupes coloniales au lendemain de la guerre de 14-18, qu’il avait faite comme jeune mobilisé et en était revenu indemne et persuadé que son avenir n’était pas dans le retour à la ferme familiale de Guidel, mais dans la découverte des horizons africains.

 

   Et dans les Forces Françaises Libres constituées en Afrique, il participa à la campagne de Tunisie, puis d’Italie, ne revenant au bercail qu’après la libération et l’armistice du 8 mai 1945, peu après le retour de mon père et fut définitivement démobilisé le 1er août 1945.

  L’autre homme de la maison, mon oncle Francis, jeune frère de ma mère, que la guerre et la démobilisation avait surpris à l’Ecole des Mousses de Toulon, n’avait fait que repasser par la maison familiale de Rabat avant de trouver le chemin de Londres, où il allait devenir un agent régulièrement affecté à des opérations de liaison avec les groupes de résistants bretons tout au long de la guerre. Il eut même l’occasion de se réfugier imprudemment un jour dans la ferme de sa tante de Breuzen, et ne dut son salut qu’à la présence d’esprit de la dite-tante, qui le cacha plusieurs heures sous son lit, au nez et à la barbe des allemands qui occupaient une partie des dépendances de la ferme.  

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         Cette attention féminine exclusive s’est donc prolongée jusqu’au retour de captivité de mon père, en juin 1945, à trois mois de mes 5 ans.

         D’où sans doute une relation peut être difficile à établir avec un père traumatisé par les cinq ans vécus dans des conditions physiques, matérielles et morales qu’on a peine à imaginer tant tous ces prisonniers de guerre se sont peu exprimés sur ce qu’ils ont enduré.

         La naissance de mon frère, Jean-François, en mai 1946, a encore accentué un peu plus la difficile relation, mon père - et c’est on ne peut plus légitime - portant toute son attention sur ce bébé qu’il a vu naître, ce dont il avait été privé avec moi, et sans doute que moi-même j’ai dû vivre une frustration de devoir partager l’affection de mes parents avec un… autre. Et conséquence, nous n’avons jamais eu, mon frère et moi, la différence d’âge - jusqu’à tardivement - accentuant encore les choses, de relations réellement fraternelles et affectueuses.

        Mais pour autant, je n’oserais pas dire que mon enfance ne fut pas heureuse. 

Une anecdote illustre bien l’attention permanente dont je fus l’objet par pratiquement tous ceux qui m’entouraient : celle qui mit en cause, par ma faute - une fois de plus - l’ordonnance (c’est ainsi qu’on appelait les militaires du rang qui étaient placé au service des gradés à leur domicile pour effectuer les tâches d’entretien de la maison, diverses tâches ménagères, etc. ce qui était en même temps considéré comme un privilège que se disputaient les jeunes soldats originaires du Sénégal et d’autres pays d’Afrique subsaharienne) qui fut affecté dès le retour de mon père de captivité au service de la maison où il résidait, en l’occurrence à ce moment-là, la maison de mes grands-parents. Et c’est ce brave Mamadou qui avait pour mission de me conduire à l’école et de venir m‘y rechercher, n’avait de cesse que de me convaincre d’y aller malgré ma mauvaise volonté née du fait que les Bonne Sœurs qui dirigeaient cette école n’avaient rien trouvé de mieux que de m’attacher la main gauche derrière le dos pour m’obliger à écrire de la main droite… j’étais gaucher… et je le suis resté. Et pour calmer mes pleurs Mamadou nous arrêtait chez l’épicier du quartier et me laissait choisir la poignée de bonbons qu'il payait de sa poche, ce qui me consolait rapidement de mon martyr scolaire !!! Et bien entendu, un jour mon père découvrit le pot aux roses et pour compléter le châtiment de la fessée à laquelle je n’ai pas échappé, Mamadou s’est vu infliger une sanction d’une semaine de consigne… entendez par là qu’il a été retenu à la caserne avec les corvées que cela suppose, avec le risque d’être remplacé par plus docile que lui !

Mais mon enfance fut surtout marquée par des vacances enchantées, chez mes grands-parents maternels, qui au lendemain du retour du grand-père définitivement démobilisé, quittèrent Rabat pour l’est du Maroc, à la frontière avec l’Algérie, en plein bled, dans un lieu-dit appelé Madagh, à quelques kilomètres de Berkane. Là, le grand-père réintégré au Paysannat, se retrouvait à administrer le “Secteur de Modernisation du Paysannat numéro 3”(4) appelé plus couramment SMP 3. Je n’ai jamais su combien de SMP existaient dans le pays, plus d’une quarantaine je crois et de types différents selon les régions… mais celui-là était en troisième position dans la liste. 

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           (4) Dans cette partie du Maroc Oriental, la plaine des Triffa a vu une des réalisations les plus spectaculaires de l’administration du Paysanat. Au milieu d'une plaine où l'essor des grandes exploitations européennes a limité les parcours, et où la population marocaine manque de terres de culture, le secteur de Madagh a travaillé dans une cuvette au sol riche mais marécageux, encombrée de broussailles et infestée d'anophèles à tel point qu'à plusieurs reprises il avait fallu évacuer les familles qui résidaient à proximité. Six cent soixante et onze hectares de ces terres basses — dont le drainage avait été entrepris par le Génie Rural — furent assainis, défrichés et répartis par lots de deux hectares et demi entre deux cent cinquante attributaires appartenant à deux fractions, les Ouled Sghir et les Haouara. Vingt et une stations de pompage d'un débit total à l'heure de 1.400 m3 puisant l'eau entre quinze et trente-cinq mètres de profondeur, trente kilomètres de séguias bétonnées alimentent un périmètre irrigué, voué aux cultures maraîchères et aux vergers. Une terre qui fut maudite est devenue un jardin où de petites parcelles, cernées de haies de cyprès, produisent des oranges, des abricots, de la menthe pour la distillation, de bons fourrages. 

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         C’est là, dans leur petite maison proche des écuries mais aussi des bureaux de l’administration de l’exploitation, que j’ai sans doute passé mes meilleures vacances, surtout celles pendant lesquelles mes parents après être venus m’accompagner par le train, de Rabat à Oujda, retournaient chez nous et donc je me retrouvais seul pour quelques semaines, avec mes grands-parents, profitant d’une liberté quasi totale en dehors des repas et de la sieste obligatoire, explorant tous les recoins d’un domaine où ma curiosité me conduisait. Sans compter que je me régalais à même les arbres fruitiers auxquels je grimpais, figuiers, arbre à brugnons (les nectarines d’aujourd’hui) en faisant attention de ne pas m’y faire prendre par le grand-père, soucieux non de mon régime alimentaire mais du risque de chute ou de blessure avec en particulier les branches de figuier qui cassaient et coupaient alors comme une lame de rasoir. Mais j’aimais aussi fréquenter l’écurie, adorant les chevaux (malgré un coup de pied de cheval reçu en 1946… mais c’est une autre histoire que je vais conter plus loin) et content de partager un morceau de kesra, ce pain fait de blé concassé, trempé dans l’huile d’olive avec le palefrenier qui, je ne le savais pas à l’époque, avait été chargé par le grand-père, de surveiller mes allées et venues… un agent de sécurité en quelque sorte auquel je réussissais à fausser compagnie. Ainsi, un après-midi il m’a extrait d’un trou rempli de boue de glaise bien élastique, futur puits en cours de creusement. Je m’étais mis en tête, avec un petit camarade de jeu, enfant d’une famille marocaine travaillant sur la ferme du domaine, de traverser le dit-trou sur la planche posée en travers. Et ce qui devait arriver arriva : la planche était peu stable et je perdis l’équilibre et tombais dans la boue. Mon compagnon de jeu couru jusqu’à l’écurie proche pour alerter le palefrenier qui s’empressa de me sortir de là et me tenant à bout de bras vint me plonger - dans la cour arrière de la maison des grands-parents - dans le grand bac rempli d’eau depuis le matin et où ma grand-mère me plongeait tous les soirs, l’eau s’étant réchauffée au soleil, pour me faire une toilette bien méritée avant le dîner.

   Combien d’heures ais-je passé à regarder les caméléons changer de couleurs en passant d’une branche à l’autre, gober les insectes d’un coup de langue à trente centimètres, à taquiner les petites vipères d’eau dans la séguia longeant la maison et irriguant un champ de nioras rougissantes…

         Et combien d’heures aussi à regarder ma grand-mère plumer poulets, pigeons, alouettes avant de les cuisiner, ou encore passer la viande de lapin au hachoir à manivelle pour faire sa délicieuse terrine. Et les séances de tri des pois cassés, des lentilles, du riz pour éliminer les petits cailloux qui s’étaient glissés au moment de la récolte…

         Il y eut aussi les sorties en pick-up avec mon grand-père qui allait distribuer des semences ou payer des récoltes dans des douars ou des exploitations éloignées du SMP et peut-être même hors du secteur si j’en crois la distance que nous parcourions. Je laisse imaginer l’accueil qu’il recevait auprès des paysans, souvent eux-mêmes anciens combattants qui le recevaient avec le salut militaire et moi je revenais toujours gratifié par l’épouse d’un œuf frais pondu du jour, geste symbolique pour me souhaiter une vie heureuse. Il est arrivé que ma grand-mère soit du voyage et dans ce cas, nous étions reçus en invités avec nécessité de partager le repas qui, imprévu pour la maîtresse de maison car la visite n’était jamais annoncé (je rappelle que le terme même de téléphone ne faisait encore pas partie du vocabulaire dans ces campagnes) mais était préparé en un temps record et, au retour,  ma grand-mère ne manquait jamais de dire sa surprise de voir le peu de temps qui s’écoulait entre l’abattage du poulet et le moment où, fondant dans la bouche, il était servi accompagné des légumes grillés du jardin familial. Une prouesse culinaire dont j’ai gardé un souvenir intact et que je mesure à l’aune de mes soi-disant prouesses aux fourneaux…

         M’est restée également l’image d’un dîner de gala chez le Chérif de la région qui – fait exceptionnel – avait invité à sa table non seulement mon grand-père mais également ma grand-mère. Et à sa grande surprise, ma grand-mère tout en le remerciant, lui dit qu’elle aurait grand plaisir de partager le repas des femmes dans la cuisine. Ce qu’il lui accorda avec respect. Bien entendu, je me souviens de cette anecdote non seulement parce que j’étais présent à ce dîner mais également  parce que mes grands-parents m’en ont expliqué le sens et la portée.

 

         Autant de moments qui ont fait le bonheur de ces séjours avec, lorsque les parents venaient pour leurs propres vacances, les sorties à la plage proche d’une dizaine de kilomètres, Saïdia et ses dunes couvertes d’une forêt d’eucalyptus parfumant tout le littoral de l’embouchure de la Moulouya à la frontière algérienne, celle-là même où mes parents avaient réuni tous leurs invités le soir de leur mariage à Oujda pour le dîner et le bal et où ils avaient passé leur nuit de noces !!!

         Un grand moment vécu à Madagh et Berkane furent la journée et les jours précédents le mariage de mon oncle Francis, jeune frère de ma mère, avec une jeune femme d’une famille d’origine espagnole exilée de la Guerre d’Espagne, résidant à Berkane, Andrée Forte.

Je n’ai pu, hélas, retrouver la date de ce mariage et les intéressés sont aujourd’hui disparus et, deux fois hélas, les relations avec leur unique fille Françoise encore en vie (je l’espère) se sont distendues puis devenues inexistantes, y compris avec mon frère qui était resté proche de notre oncle.

Heureusement, il reste quelques photos de ce jour, que je ne résiste pas à publier avec ce texte. Et je n’aurai garde d’oublier que l’Eglise de Berkhane où eut lieu la cérémonie était restée en l’état en 2006, lors de mon passage à Berkane. Mais j’y reviendrai.

    Autre particularité de ce SMP 3, la présence d’un dispensaire de santé animé par deux infirmières militaires, détachées, dont j’étais le chouchou pour ces célibataires sans enfants qui avaient été adoptées comme des filles par mes grands-parents. Je ne me souviens que du nom de l’une d’entre-elles, Isabelle de Water, qui sauva in-extremis mon grand-père de la noyade à Saïdia, un dimanche après-midi venteux, alors qu’il était pris dans les rouleaux. Il faut dire que la campagne de la libération dans les FFL l’avait aguerrie… c’est le moins que l’on puisse en dire.

   Leur tâche principale était de soigner les agriculteurs attributaires des parcelles du SMP et leurs familles. Sans compter qu’au surplus elles assuraient plus ou moins une fonction d’enseignement de français et de calcul… J’ai eu le plaisir d’assister à quelques-unes de leurs classes et de leur servir de cobaye pour tester leurs méthodes.

 

    Cela a pris fin en 1951, quand mon grand-père a quitté son poste et le Paysannat pour entrer à la Société Générale d’Etudes et de Travaux d’Irrigation au Maroc à Rabat et s’installer avec ma grand-mère dans la grande-maison que nous occupions rue de la Côte d’Ivoire.

 

Mais ici il faut que je fasse un petit retour en arrière pour reprendre la vie de la famille à partir du retour de captivité de mon père. On était encore en 1945.

Après quelques mois de repos chez ses beaux-parents et la réintégration au sein du 6ème Régiment de Tirailleurs Sénégalais, basé à Rabat, mon père se vit attribuer une maison au sein d’une cité militaire, dans le quartier de Khebibat, regroupant des officiers et sous-officiers de divers corps. Nous occupions une maison de la Cité 4, un groupe de six maisons, mitoyennes deux par deux et formant un U avec un petit square en son milieu, square qui était un terrain de jeux tout trouvé pour la bande d’enfants qui peuplaient les familles et qui restaient donc sous l’œil bienveillant des mères de famille qui, comme on le sait, du fait du statut des maris, n’étaient pas autorisées à travailler.

 

   C’est donc là que naquit mon frère, Jean-François, dans la nuit du 5 au 6 mai 1946 et je me souviendrai toujours que, réveillé par le branle-bas régnant dans la maison, je me dirigeai vers la chambre des parents où l’on me fit entrer pour voir le bébé qui venait de naître et qui - déjà - tenait dans son petit poing un coin du drap lui caressant le nez, le pouce bien enfoncé dans la bouche… et le réflexe de succion en route … pour plusieurs années.

   J’ai de cette époque de la Cité 4 quelques bribes de souvenirs, certains heureux, d’autres moins sur lesquels je ne m'appesantirai pas…

   Et il faut quand même que je relate l’un des épisodes les plus épiques que j’ai fait vivre à mes parents à l’occasion du mariage d’un petit cousin par alliance de mon père qui avait lieu à Casablanca.

    La veille, ma mère, installée au soleil sur les marches de l’escalier qui descendait de la maison vers le jardin terminait quelques travaux de couture pour nos tenues du lendemain. Et moi, assis derrière son dos et munis d’une paire de ciseaux, j’avais entrepris de raccourcir consciencieusement mes cheveux. Jusqu’au moment où mon père rentrant de la caserne me découvrit le crâne “galeux”, ma mère fondant en larmes - elle ne s’était rendu compte de rien - et honteuse par avance d’avoir à exhiber son rejeton dans cet état.

         Mon militaire de père prit alors la décision qui s’imposait : il me traîna littéralement jusque chez le coiffeur qui faisait face à l’entrée de la caserne du 6ème RTS, coiffeur qui lui confia qu’il n’y avait qu’une solution… la “boule à zéro”, ce qui fut rondement mené mais conduisit mon géniteur a courir vers une boutique proche où me trouver un béret pour cacher ma nudité capillaire.

          Je laisse imaginer l’émotion de ma mère au retour… mais l’histoire ne s’arrête pas là, car le lendemain, au matin du jour du mariage, dans le train qui nous conduisait de la Gare de l’Agdal à Rabat à Casablanca, je me suis évertué à donner à voir, ôtant mon béret, mon crâne nu aux passagers du compartiment. Et durant toute la journée de fête, mon père dû s'imposer une surveillance de tous les instants pour m’empêcher de “crâner” !!!

         Et, incroyable mais vrai… En 2006 lorsque je suis retourné au Maroc…un pèlerinage 50 ans après mon retour en France… j’ai découvert que la caserne avait été transformée - si peu - en Cité Universitaire et la boutique du coiffeur qui lui faisait face venait de disparaître avec la destruction de l’immeuble antédiluvien qui l’abritait, pour faire place au chantier de construction d’une résidence d’étudiants.

   

         Parmi les souvenirs moins agréables qui me restent de cette époque, et sur lesquels je n’ai pas trop envie de m’étendre, il en est un cependant qui fait exception. Celui - tragique - d’une petite voisine et camarade de jeux qui un jour s’aventura imprudemment sur la rue qui bordait le bas de la cité pour récupérer un ballon et qui fut fauchée par une voiture et ne survécut pas à ses blessures.

         La vie est ainsi faite qu’elle peut vous apprendre très tôt que nous sommes des êtres mortels et qu’en un instant tout peut basculer. Elle me le montra à nouveau quelques courtes années plus tard avec la mort des suites d’une leucémie de mon meilleur ami de l’époque, qui s'appelait lui aussi Alain, à quelques semaines de notre communion solennelle.

 

 

     Retour aux sources

 

         Fait de première importance survenu peu de temps après la naissance de mon frère : la permission (entendez les congés) de mon père qui était, à l’été 1946 autorisé à venir passer deux mois en France pour venir visiter sa famille.

         Et en ces temps de juste après-guerre les liaisons maritimes entre le Maroc et la France et plus particulièrement entre Casablanca et Bordeaux, étaient assurées par les navires qui, de paquebot ou mixte, avaient été transformés en transports de troupes. Et c’est à bord d’un de ces bateaux, le Cap Tourane, que nous avons fait la traversée, la cale étant divisée en “cabines familiales” séparées les unes des autres par des bonnes vieilles couvertures militaires tendues sur des câbles, les lits étant de camp bien entendu. La cuisine servie dans un réfectoire équipé des longues tables et de bancs n’était pas si mauvaise, mais à dominante pour les légumes de riz et surtout de carottes au point que les adultes avaient surnommé le bateau le “Cap Carottes”.

         Ma pauvre mère, souffrant d’un mal de mer chronique, n’a pas mis un pied dehors de toute la traversée, préoccupée par l’allaitement de mon frère vieux d’à peine plus de 2 mois.

         Quant à moi, mon plaisir était d’être calé dans un rouleau de cordages à la proue, où mon père et ses compagnons de voyage partageaient le matin des casse-croûtes à base de tranches de miches de pain et de boîtes de sardines, agapes auxquelles j’étais convié pour mon plus grand plaisir… j’ai toujours d’ailleurs un goût prononcé pour les sardines à l’huile… d’olive vierge pendant qu’on y est !

         De Bordeaux, nous sommes remontés par le train jusqu’à St Pol de Léon chez ma grand-mère paternelle, pour deux ou trois semaines au cours desquelles on a pu profiter de la plage, pêcher des coques et des couteaux grâce aux “trucs” imparables de la grand-mère : grains de sel sur les trous pour faire croire au retour de la marée et baleine de parapluie pour extraire le couteau remontant vers la surface…le piège fonctionnait à tous les coups !

 

         Puis, ce fut le retour à Breuzen, dans la ferme de la grand-tante d’où nous pouvions rayonner dans les environs immédiats pour visiter les autres membres de la famille de ma mère et déguster les déjeuners et collations pantagruéliques dans les opulentes fermes des oncles et cousins.

         Et c’est là que l’imprudent que j’étais a une fois de plus provoqué un accident qui eut pu m’être fatal. Muni d’une baguette de bois, un après-midi, je suis allé taquiner la croupe du cheval de trait de la ferme, un beau percheron dont le sabot ne tenait pas dans le fond d’un seau. Et ce qui devait arriver arriva : le cheval comme s’il avait voulu chasser les mouches qui agaçaient sa croupe a soudain mis un bon coup de sabot en arrière… qui a rencontré à la bonne hauteur ma mâchoire gauche et m’a projeté à bonne distance. Le bas de la joue ouvert sur plusieurs centimètres, l’os de la mâchoire probablement abimé, l’oncle André et mon père m’ont entouré le visage d’une serviette, ils ont attelé le cheval à la charrette qui était le seul moyen de locomotion disponible et m’ont amené ainsi à l'hôpital militaire de Lorient.

          Je vous passe les secousses tout au long de la route, mais je n’ai pas d’autre souvenir précis, ni de ce qui s’est passé à l’hôpital, ni du retour mais en revanche, j’ai gardé des semaines qui ont suivi la mémoire des difficultés à m’alimenter avec la mâchoire bloquée par un appareil. Mais sans plus et le retour à Rabat s’est effectué quasi normalement (5).

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            (5) Conséquence imprévisible au moment de l’accident : le port d’un collier de barbe !!!

 

                A la sortie de l’adolescence, un peu “gavé” d’avoir à répondre à la question toujours renouvelée, et surtout par les filles… “Qu’est-ce qui t’es arrivé à la mâchoire ?”, car la cicatrice était bien visible et d’une couleur peu engageante, j’ai décidé de laisser pousser ma barbe naissante en fin collier, sans la moustache, pour cacher ce signe distinctif. Tiens, au fait, la description n’a jamais été retenue dans la rubrique correspondante de mes documents d’identité.

              Au milieu des années 70, un peu lassé de cet attribut et des cheveux que je portais un peu trop longs, j'ai résolu, un jour de vacances de Pâques chez mes parents à Saint Brieuc, de mettre un terme à tout ça…ce que l’ancien apprenti coiffeur qui m’avait connu ado et avait depuis pris la succession du patron qui l’avait formé, eu du mal à accepter de réaliser.

              Et c’est, imberbe et cheveux courts que je me présentai à la barrière du jardin de chez mes parents derrière laquelle veillait notre brave chienne Véga qui pour la première fois de sa longue vie se mit à exprimer à mon égard ses aboiements contenus mais menaçants jusqu’à ce que je lui adresse un : “Ben qu’est-ce qui t’arrive Véga… tu ne me reconnais pas ?” Et là elle se mit à remuer la queue au point d’en faire onduler tout son corps et remontant ses babines sur sa mâchoire entrouverte, elle se mit à “sourire” comme elle savait le faire quand elle se rendait compte qu’elle avait fait une bêtise et elle s’en excusait ainsi. Ma voix lui avait tout d’un coup rappelé quelqu’un de familier !!! 

             Sans qu’il y ait réellement de raison objective, sauf à penser que la nostalgie n’est plus ce qu’elle était, la fin de la décennie écoulée m’a vue renouer avec le poil sur le menton et après quelques semaines d’une barbe totale - toujours sans moustache, faut-il le préciser, et pardon Mr HUGO pour la soupe sans sel - je suis revenu au collier du passé, en un peu plus large, mais plus court…

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            A la fin de l’année 1948, mon père, sur les conseils éclairés de son beau-père, et peu enthousiaste de retourner une fois de plus au combat en Indochine où sévissait une guerre qui ne disait pas encore son nom, décida de prendre la retraite proportionnelle à laquelle il avait droit. Compte-tenu des nombreuses campagnes extérieures et de sa captivité, il a pu en effet bénéficier de ce régime et de l’obtention d’un emploi réservé dans l’administration… Je crois me souvenir qu’il avait été affecté dans un premier temps à un poste au sein des Travaux Publics, avant de passer quelques temps plus tard à l’Office Chérifien des Anciens Combattants qui, comme son nom l'indique, gérait le sort (en particulier l’attribution des pensions complémentaires d’invalidité) et les retraites des anciens combattants résidant au Maroc.

          Bien entendu, nous dûmes quitter la cité militaire pour un appartement réservé aux anciens militaires de carrière, dans une « résidence » du quartier de l’Océan, rue Antoine Mas.

         J’entrais alors à l’Ecole de l’Océan, que j’ai retrouvée quasi en l’état en 2006 (j’aurai l’occasion de revenir sur ce pèlerinage effectué 50 ans après mon départ du Maroc) ce qui m’a, je le reconnais, beaucoup ému, école où j’ai terminé mon parcours de primaire par les 2 examens de l’époque : celui de l’entrée en sixième et celui pour l’obtention des bourses. Réussite bienvenue aux deux, mais refus des bourses en raison du revenu paternel.

         L’appartement du 3ème étage de la résidence de la rue Antoine Mas, véritable tour de Babel en réduction, était loin d’offrir le confort avant-gardiste de la maison de la Cité 4 : pas de salle d’eau avec douche, un simple lavabo, pas de toilettes non plus… les WC à la turque étaient à l’entrée du couloir distribuant les appartements de l’étage et bouchés au moins un jour sur deux !!! (ils l’étaient une fois de plus en… 2006… quand j’ai effectué mon pèlerinage du demi-siècle…)

         Mais le quartier était vivant, animé. Il y avait une salle de cinéma toute proche où j’ai vu mes premiers films. Le dimanche, c’était messe obligatoire le matin, mais séance de cinéma en famille l’après-midi.

         Cela n’a duré que deux courtes années, mes parents ayant trouvé une nouvelle résidence, plus spacieuse et plus confortable, rue de la Côte d’Ivoire. Il s’agissait d’une maison de type mauresque, organisée autour d’un large patio sur lequel donnait les différentes pièces : salle à manger, salon, cuisine, office, buanderie, toilettes au rez-de-chaussée et au premier, où on accédait par un escalier assez abrupt, se distribuaient les chambres, au moins trois si mes souvenirs sont fidèles, la salle d’eau équipée d’une douche et des toilettes. Et par un autre escalier, tout aussi abrupt mais plus étroit, on accédait à une terrasse, idéale pour sécher le linge et prendre le soleil. Cette terrasse permettait aussi de découvrir le panorama des terrasses du quartier et au loin de la ville à l’infini.

         Et c’est au moment de s’installer dans cette maison, imbriquée dans un assemblage d’autres maisons identiques dont l’entrée se situait pour nous au fond d’une impasse étroite, que mes grands-parents quittaient Madagh pour venir s’installer avec nous, au printemps de 1951.

         Allait alors se préparer le périple estival biennal vers la France, à travers l’Espagne cette fois, comme en 1949 et, je ne le savais pas encore, la famille s’apprêtait également à s’agrandir.

 

 

 

         Il faut s’imaginer, tant en 1949 qu’en 1951, ce que pouvaient être les conditions d’un voyage en voiture de l’est du Maroc, à la Bretagne, en traversant l’Espagne du Sud au Nord ?

 

                                                                     ( à suivre )